Trois ans de formation* au métier de militaire et également de spécialiste conduit à dire que l’école d’Issoire était la maison mère du sous officier, ce qui en a fait sa renommée et son attrait.
A l’âge ou l’éducation parentale n’est pas encore finalisée, ce sont des soldats, nos instructeurs, qui nous ont appris les dernières règles et également les nouvelles ; celles des valeurs militaires, du cœur, de la volonté, de l’accomplissement de la mission et du travail toujours bien fait. Exemple et rigueur est la devise de cette école, ce qui a été vécu par la 1° promotion n’est pas comparable avec la dernière promotion mais la devise est ancrée en chacun.
Sur un peu plus de trois décennies ce sont environ 13000 spécialistes qui sont venus alimenter les rangs de notre armée. Actuellement ce sont nos anciens, entre la 8 et la 10° promotion, qui quittent le service actif, mathématiquement nous ne sommes pas encore en voie de disparition ; bon nombre d’entre nous vous côtoient sans que vous ne le sachiez, certains sont mêmes déguisés en personnels civils de la défense (la 8° promo est ainsi présente au sein de mon unité), d’autres sont incognito au GIGN.
Pour donner une image, la rentrée de septembre c’est un peu comme une session de JAPD. Une bande de jeunes d’environ 17 ans (le plus jeune de ma promotion n’avait pas 16 ans) ou chacun se regarde, personne ne se connait, les timides, les exubérants, les curieux et les rebelles. L’impétuosité de la jeunesse derrière une bonne couche d’acné et une croissance à peine terminée… La différence c’est que le soir la session JAPD ne se termine pas. Longues seront les journées et les nuits, longs seront les chemins parcourus au cours de ces trois années. Tous fantassins à la base, j’ai plaisir à dire « fouilleurs de buissons », ce fut une expérience humaine dure mais riche. Le but de nos instructeurs n’était pas de « casser les grands et d’allonger les petits » mais de mettre en exergue les qualités de chacun pour qu’elles deviennent les qualités de tous. Quelle ingéniosité, quels esprits tordus que ceux de ces hommes conduisant des sections de gamins pour arriver au but : faire un soldat spécialiste. Nombreuses sont les anecdotes à raconter sur cette formation, souvenirs pénibles de marches interminables ou le sac du plus faible se retrouve sur le dos de tous les autres, souvenirs pénibles de ce cours de mathématiques ou la tête du professeur (civil de l’éducation nationale) ressemble à celle d’un martien, que de larmes cachées sur les intégrales et dérivées ou au fond du fossé, dans la boue, la peau des pieds entre les doigts des mains ou la bonne grosse limace qui vous glisse sur le visage sert de réveil matin. Que de réconfort dans le regard de son binôme lorsqu’il tend sa dernière chaussette propre, que de fierté d’avoir enfin compris le théorème de Norton après les explications avisées de son voisin de chambre. Partager son savoir, sa ration, son courage ou son dépit ce fut la volonté du groupe, les valeurs du cœur qui se tissent peu à peu sans que l’on en prenne conscience. L’acné disparue, le regard est franc et l’on regarde le chef dans les yeux, les salades d’armes deviennent un jeu ou les chronos sont relevés, les BIP (électroniciens) traversent la rue pour acheter des composants à la boutique du coin et fabriquer tous types de gadgets (saint Triac qui commande tout), l’école à même eu sa radio locale. Mettre en application ce que l’on a appris sans y être obligé, c’est bien la preuve que l’objectif est atteint et même dépassé. Les épreuves proposées par nos professeurs (BEP et CAP à mon illustre époque) ne sont pas retenues par l’académie de Clermont Ferrand, trop difficiles.., Les taux de réussite de l’école sont à souligner, pour nous ce n’était pas une formalité mais presque. Ce furent nos premiers remerciements envers le martien et tous les autres professeurs y compris ceux du contingent (les pauvres). Le volet technique étant clos, le nouvel objectif à atteindre est le CM1. L’acquisition des techniques de combat et celles développées sur le parcours du combattant nous apprennent que le mur d’enceinte ne se passe pas en drapeau. La discrétion de ses ombres qui s’éclipsent vers la ville, ou la PM (police militaire) est de service, n’échappe pas à l’encadrement. Ici aussi les anecdotes sont légion, l’esprit de groupe patiemment forgé à ses revers. L’ingéniosité de l’élève dépasse-t-elle celle du maître ? Jeunes hommes au physique endurci par des heures et des heures d’efforts physiques et de « Drill », le coup de main sur la fontaine du Berger, le village du Broc ou le pylône électrique de Perrier n’est plus qu’un automatisme, chacun à sa place, en appui ou appuyé. PATRACDR, FOMEC, FMD, PMSPCP ou la place du chef est prise par chacun à tour de rôle, jusqu’à l’enchainement comme au lapin mécanique, jusqu’à l’accomplissement de la mission, mission individuelle, succès collectif et intelligence de situation.
Un bataillon à trois compagnies défile à douze de front, c’est une promotion ; une promotion qui s’adresse aux petits avec respect (le 1, le 2, le 3 et à suivre sont les chiffres de promotion de nos ainés), une promotion qui guide les grands (30, 31 et à suivre sont nos jeunes). L’adjudant chef, c’est bien connu, a une vision de quinze dixième, il est le seul à voir la poudre dans la chambre du fusil astiqué depuis des heures. Il est le seul à pouvoir dire si la silhouette du T55 que nous avons dessiné est conforme au manuel ou à son idée. Il est le seul à décider que les cordes ne se montent pas avec les jambes. Il y a deux manières de se déplacer : au pas cadencé en chantant ou au pas de gymnastique, l’adjudant chef ne chante pas beaucoup… Quand l’adjudant chef susurre les ordres, l’écho de la montagne lui répond…L’adjudant chef est joueur, il parie toujours que sa section est la meilleure et il faut le prouver ; le cœur de l’adjudant chef est plein de fierté, comme le nôtre, le pari est gagné. Tout cela fait sourire mais il faut bien se dire que tout se déroule dans un cadre d’ordres précis.
Trois visages sont gravés au fond de ma mémoire, ceux de trois chefs de section. J’ai pu les admirer et les détester pour leur exemple et leur rigueur (tiens cela ressemble à la devise). Promus au grade de sergent au bout de trois ans, nous nous disions qu’un jour nous serions adjudant chef voire major, chef de section (certains ont mal tourné et sont officiers, il faut des exceptions pour confirmer la règle). On entend dire « j’étais militaire », « j’étais parachutiste », « j’étais sapeur », cette conjugaison au passé ne s’applique pas à l’Issoirien, il dira toujours « je suis Issoirien ». Dans toutes les unités, ou en OPEX, ils se connaissent, jeunes ou anciens, il y a toujours un temps pour parler, refaire le monde comme disent certains (jaloux ?). Esprit de corps, esprit de cœur, esprit de confiance mutuelle qui s’étend à toutes les promotions coulées dans le même creuset. Ma promotion s’est rassemblée pour son 25° anniversaire, puis pour le 30°. Le 35° anniversaire approche et l’on parle déjà du 40°. C’est tout cela l’esprit militaire.
Exemple et rigueur, pour ma part j’ai fait l’amalgame avec la devise de Duguay-Trouin, corsaire du roi « Je ne sers que pour l’honneur de bien servir ». C’est ça être Issoirien.
* (En regard des quelques mois de formation militaire pour l’ENSOA)
PS : souvenir tout particulier de la section des fils de Harkis que nous avons côtoyé pendant deux ans et auxquels nous transmettons toute notre amitié.
CDT KRETZ 17° Promotion Compagnie DE LANGLADE Section BAILLETTE |